L’immeuble d’habitation est implanté à cheval sur les communes de Boulogne-Billancourt (23 rue de la Tourelle) et du seizième arrondissement de Paris (24 rue Nungesser et Coli). Il a été conçu par Le Corbusier, associé à Pierre Jeanneret, avec le concours de Charlotte Perriand pour l’aménagement de l’appartement de Le Corbusier.
Il est le premier immeuble d’habitation au monde à façades entièrement vitrées. L’immeuble préfigure aussi les principes de la Ville radieuse, au cœur de la métropole, à proximité immédiate de parcs et d’équipements sportifs nombreux (stades, piscine, courts de tennis) qui, alliés aux logements, réalisent cet idéal moderne de l’alliance du collectif et de l’individuel. Le Corbusier cherche à cette époque à tester la validité de ses propositions en matière d’urbanisme dans des opérations ponctuelles.
La parcelle bénéficie d’une double orientation idéale à l’est et à l’ouest et d’un environnement exceptionnel. Ce site exceptionnel allié à l’absence de vis-à-vis permet aux architectes d’élever des façades entièrement vitrées. Après avoir espéré un temps disposer d’un terrain plus vaste pour y construire un immeuble-villas, les architectes doivent se contenter d’une parcelle plus modeste de 13 mètres de façade seulement pour 26 mètres de profondeur. À chaque niveau, ils disposent les logements dos à dos, ouverts chacun sur une seule façade.
Au rez-de-chaussée, se trouvent la loge de la concierge et dix chambres de domestiques convenablement éclairées. Le premier et le deuxième étage comportent trois appartements. Du troisième au sixième étage, on ne trouve que deux appartements par niveau, cette répartition étant partiellement lisible en façade. Le Corbusier achète pour son usage personnel le 7e étage et le 8e étage où il édifie l’appartement-atelier qui lui servira de résidence parisienne jusqu’à son décès en 1965. Un ascenseur et un monte-charge desservent les appartements jusqu’au sixième étage. L’architecte supprime les traditionnels escaliers de maître et de service qu’il remplace par un escalier de secours unique en ciment armé.
La conception des plans des appartements répond au principe du plan libre. De l’escalier, on gagne les cuisines par une passerelle de service dont les murs en verre armé filtrent la lumière naturelle tout en préservant l’intimité des pièces tournées sur la cour intérieure. Au centre de la parcelle, une courette commune et un puits de lumière éclairent les chambres, cuisines et salles de bains. Un mur rideau, en briques de verre Névada, assure l’éclairage et évite les servitudes du vis-à-vis.
La brique Névada est particulièrement mise à l’honneur en façade rue Nungesser-et-Coli. Son emploi répond aux préoccupations hygiénistes de l’architecte. Elles symbolisent également une certaine modernité, plutôt « chic », que l’on retrouve dans la Maison de verre (1931) contemporaine de Pierre Chareau. L’audace de Le Corbusier, comme du maître d’ouvrage, fut d’utiliser ces pans de verre dans un programme de logements de standing, rompant ainsi avec les schémas culturels admis au risque de compromettre le succès commercial de l’opération. La légèreté des deux façades de verre de l’Immeuble contraste avec l’opacité des masses des immeubles voisins dus l’un à Michel Roux-Spitz et le second à Léon Schneider. Cette sensation d’immatérialité provient de la fine ossature métallique peinte en noir qui raidit les pans de verre et les murs de briques Névada. Du sol au plafond, le soleil pénètre dans les appartements et les inonde de lumière. La rangée de poteaux en béton armé qui, du rez-de-chaussée au sixième étage, soulage les murs mitoyens de leurs charges, autorise la création d’une façade totalement libre marquée de bow-windows en porte à faux. Dans l’entrée, le hall et les séjours, ces poteaux sont utilisés comme autant d’éléments indépendants de la composition spatiale.
L’appartement-atelier de Le Corbusier
La hiérarchisation traditionnelle des immeubles haussmanniens est bouleversée. L’étage noble n’est plus le premier niveau au-dessus de l’entresol, mais le dernier étage qui jouit de la vue et de la lumière. C’est là que Le Corbusier pose, sur les 120 mètres carrés du toit-terrasse, son propre appartement traversant et en duplex. L’architecte adopte une couverture voûtée en berceau qui s’inscrit tangentiellement dans la courbe du gabarit. L’atelier, où Le Corbusier peint le matin face au mur mitoyen en moellons apparents, occupe la moitié est de l’appartement. À l’ouest, face à Boulogne, il installe sans effet particulier un séjour, une cuisine et une chambre équipée de toilettes et d’une salle de bains inspirés des aménagements de paquebots. À l’étage, que dessert le traditionnel escalier hélicoïdal corbuséen, ne se trouvent qu’une chambre d’amis et une terrasse solarium. La juxtaposition des pièces et la voûte facilitent la suppression des couloirs et la réduction maximale du nombre de cloisons et de portes.
L’Immeuble locatif à la Porte Molitor est le premier immeuble d’habitation au monde à façades entièrement vitrées.