La construction des Quartiers Modernes Frugès entre 1924 et 1926, par les architectes Le Corbusier et Pierre Jeanneret, est à l’époque une véritable révolution, tant sur le plan de l’habitat social que sur celui de l’architecture.
Elle est le fruit de la rencontre de deux personnalités. D’un côté, l’industriel sucrier Henry Frugès, curieux de toutes les innovations artistiques et architecturales du moment, acquiert « une vaste prairie entourée de bois de pins, pour y édifier une cité jardin » où il souhaitait loger des ouvriers. De l’autre, l’architecte et urbaniste audacieux, à l’esprit d’avant-garde, Charles-Édouard Jeanneret-Gris, dit Le Corbusier, lequel avait déjà souvent abordé les problèmes liés à l’urbanisme, l’habitat collectif et les maisons standardisées.
Esthétiquement, elle est l’une des premières cités de maisons individuelles ouvrières réalisées dans le monde selon les canons de la nouvelle esthétique moderne. Techniquement, elle est un chantier d’expérimentation de la standardisation du bâtiment. Socialement, le projet vise à sortir le logement ouvrier de l’image pittoresque, ou misérabiliste dans lequel il était généralement confiné.
La Cité Frugès est le prototype de cité standardisée dans les années vingt, d’une ambition inégalée à cette époque.
Le défi posé est celui de l’économie du projet par le recours à un module standard, auquel s’ajoutent une ou plusieurs travées supplémentaires, conduisant ainsi à l’élaboration de cinq types différents :
- les « maisons à arcades » (rue des Arcades) : sept maisons en bande reliées entre elles par une terrasse couverte d’une voûte plate ;
- les « gratte-ciel » (rue Le Corbusier) : maisons doubles, au nombre de seize, formées de deux modules accolés dos à dos, surmontées d’une terrasse partiellement couverte, accessible par un escalier extérieur ;
- les « maisons en quinconce » et maisons « zig-zag » sont regroupées par six ou par trois. Elles sont composées d’un modèle de base auquel s’ajoute une travée supplémentaire, située alternativement côté jardin et côté rue, ce qui permet de ménager un espace d’accueil et un chai au rez-de-chaussée, une terrasse-pergola à l’étage;
- deux maisons jumelles face à face. La symétrie par rapport à leur axe mitoyen n’étant pas respectée, toutes les fenêtres de grande longueur sont orientées vers la voie ferrée, et les portes d’entrées à l’opposé. Un escalier extérieur permet d’accéder au toit-terrasse aménagé ;
- une maison isolée dite « maison Vrinat » : c’est la maison du chef des travaux, l’ingénieur Vrinat, qui, par la suite, a fait l’objet de transformations importantes. L’actuelle rénovation est beaucoup plus respectueuse de l’œuvre originale.
La Cité Frugès illustre l’approche de recherche et d’innovation des architectes modernes, et de la volonté de Le Corbusier à transgresser les normes, les conventions, les savoir-faire routiniers.
L’ambition est encore de lier art et progrès social. Le commanditaire et ses architectes conçoivent l’habitat ouvrier comme une œuvre d’art. Les formes sont celles de l’avant-garde architecturale, dont les formes primaires géométriques sont amplifiées par l’usage d’une polychromie variée.
Depuis 1976, l’ensemble de la cité est inscrit à l’inventaire des sites pittoresques du département de la Gironde et le 3 rue des Arcades restauré à l’identique a été classé Monument historique le 18 décembre 1980.
En 1983 la commune achète une maison de type gratte-ciel et l’ouvre au public.